L’abandon de poste devient une démission !

La loi votée par le Parlement le 17/11/2022 sur le fonctionnement du marché du travail en vue du plein emploi a instauré une présomption de démission en cas d’abandon de poste. L’objectif voulu est de faire perdre les indemnités de chômage, dont bénéficient automatiquement les salariés dès lors qu’ils sont licenciés pour abandon de poste. Le Conseil constitutionnel a déclaré le 15/12/2022, les dispositions de la loi conforme à la constitution. Mais cette réforme législative, laisse perplexe et crée beaucoup d’incertitudes.

Présomption légale de démission, en cas d’abandon de poste

Le texte de la loi crée un nouvel article du Code du travail selon lequel : « Le salarié qui a abandonné volontairement son poste et ne reprend pas le travail après avoir été mis en demeure de justifier son absence et de reprendre son poste, par lettre recommandée ou par lettre remise en main propre contre décharge, dans le délai fixé par l’employeur, est présumé avoir démissionné la Cour de cassation à l’expiration de ce délai. »

Ce texte met un terme à la jurisprudence de la Cour de cassation, selon laquelle la démission ne se présume pas, car seule la manifestation non équivoque de rompre le contrat de travail caractérise une démission.

De ce fait, il était exclu de considérer démissionnaire le salarié en situation d’abandon de poste.

Des conditions pour que l’abandon de poste soit présumé être une démission

Avec la nouvelle loi, le salarié ayant abandonné son poste sera présumé démissionnaire ! Toutefois, pour cela, plusieurs conditions devront être remplies :

1 – l’employeur devra avoir mis le salarié en demeure de reprendre son poste dans un délai précis,

2 – le salarié ne devra pas avoir réintégré son poste à la fin de ce délai,

3 – enfin, le salarié n’aura pas justifié son absence.

Le Conseil constitutionnel a déclaré les nouvelles dispositions conformes à la constitution.

Mais un décret du gouvernement :

  • précisera la nouvelle disposition
  • et fixera un délai minimum à respecter par l’employeur pour la reprise de son poste par le salarié, s’il ne veut pas être considéré comme démissionnaire.

La difficulté d’accéder aux allocations de chômage

Conséquence de la réforme législative : Si le salarié est considéré comme démissionnaire, il n’aura pas droit aux allocations de chômage, puisqu’il ne pourra pas se prévaloir d’une perte involontaire d’emploi.

La présomption de démission pourra être réfutée

La présomption d’abandon de poste créée par la loi n’est qu’une présomption simple, par conséquent le salarié pourra, s’il en a les moyens, faire valoir que son abandon de poste présente un caractère légitime. Ce sera notamment le cas pour des raisons de santé, de sécurité, ou de harcèlement subi.

Pour écarter la présomption de démission, le salarié devra saisir le conseil de prud’hommes. Au niveau de la procédure, l’affaire ira directement devant le bureau de jugement, qui se prononcera sur la nature de la rupture et ses conséquences. Le Conseil de prud’hommes devrait théoriquement statuer au fond dans un délai d’un mois à compter de sa saisine. Mais en pratique, l’employeur devrait pouvoir rendre ce délai intenable.

De nombreuses questions non tranchées

L’employeur pourra-t-il rester sans rien faire suite à l’abandon de poste du salarié. Et dans cette hypothèse qu’en résultera-t-il ?

Dans l’hypothèse contraire, quand sera-t-il obligé de délivrer au salarié ses documents de fin de contrat ? Et quels moyens le salarié sera-t-il contraint de déployer pour les obtenir ? Lui faudra-t-il invoquer sa démission (du fait de la présomption), cela rendrait ridicule le passage par l’abandon de poste ?

Si la présomption de démission est écartée par la juridiction prud’homale, cela pourra-t-il être motivé autrement que par des causes d’absence rendant la rupture du fait de l’employeur illégitime ?

En supposant que oui, l’employeur pourra-t-il ne pas tenir compte de la présomption de démission et procéder au licenciement du salarié pour faute grave ?  Mais, si c’est le cas, le salarié ne pourra-t-il pas arguer qu’il s’agissait d’une démission… et que l’employeur lui doit le paiement du préavis, voire d’autres indemnité pour licenciement abusif…

Un licenciement pour cause réelle et sérieuse serait une autre solution. Bien que des avocats considèrent cela possible, on peut penser que c’est aussi discutable. Sauf si la jurisprudence trouve des motifs permettant de dire que l’abandon de poste n’est pas une démission, mais une faute du salarié…

Des clarifications en attente

Le Conseil constitutionnel a dit conforme à la constitution le texte voté par les parlementaires. C’était la première étape nécessaire après le vote par le parlement. Le texte de la loi sera donc publié au Journal officiel.

Un décret en Conseil d’Etat doit être pris par le gouvernement pour préciser certains points… Et enfin, la jurisprudence de la Cour de cassation fera son œuvre, pour apporter toutes les réponses nécessaires… Mais dans un certain nombre d’années seulement !

Dans cette attente, salariés et employeurs seront dans l’incertitude. Et les jugements de 1ère instance et même les arrêts d’appel risquent d’apporter des réponses contradictoires.

Par conséquent, les salariés auront intérêt à éviter l’abandon de poste. Et, de leur côté, les employeurs seront dans l’embarras.  

Pierre Lacreuse

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